Sarah Navasse
Les chahuts du silence
27 janvier - 12 mars 2022
La galerie Marie Vitoux a le plaisir de présenter Les chahuts du silence, l'exposition personnelle de Sarah Navasse.
Les œuvres de Sarah Navasse tissent des fils arachnéens sur lesquels la lumière s’accroche, brille, provoque des transparences et des trouées. Cette exposition évoque la condition humaine avec ses émotions, ses troubles, ses désespoirs et espoirs.
Sarah Navasse, Paternité, 2021, graphite et aquarelle sur papier, 111 x 161 cm
Le travail récent que je présente tourne, comme souvent dans mes pièces, autour de l’humain et du corps, et plus précisément cette fois-ci, autour de questions liées à la gestation.
Cette expérience, aussi unique et commune que la naissance et la mort, est un lieu dont on connaît à la fois beaucoup et peu de choses. D’un côté, la société contemporaine offre un meilleur contrôle aux femmes sur le choix à la procréation, et les avancées récentes de la médecine apportent des aides incroyables à la fécondation grâce à des technologies avancées, le tout donnant une illusion de contrôle presque absolu sur ces questions. De l’autre, le mystère de la vie reste tout aussi grand : une micro-erreur génétique génère des malformations détectées quelquefois tardivement, une grossesse tant désirée peut tarder des années sans explication, une autre non souhaitée peut semer un trouble profond. Toutes ces questions, pour n’en citer que quelques-unes, touchent la femme aux entrailles de son être, de chair et d’âme. Ce thème me paraît particulièrement important dans le contexte actuel, où les droits fondamentaux de la femme se fragilisent dans de nombreux pays, où le droit à l’avortement est remis en question voire même retiré dans de nombreuses sociétés, et où les trois premiers mois de grossesse restent encore dissimulés dans de nombreuses cultures alors que ce sont des moments de troubles physiques et psychiques qui demanderaient souvent bien des aménagements.
Sarah Navasse, Manège 1, 2021, graphite et fusain sur papier, 113 x 176 cm
Cette exposition, Les chahuts du silence, est conçue avec une diversité d’œuvres, dessin sur papier, sur tissus, sur verre, proposant un parcours explorant différents aspects liés à cette thématique.
Tout d’abord, une série (peinture sur verre et dessins) revient sur l’image traditionnelle de la Madone, explorant d’autres scénarios tout en rendant hommage à ces représentations classiques, tellement importantes lorsque l’on reprend conscience que porter la vie est un passage traditionnellement si proche de la mort.
Certains dessins utilisent ensuite les points de reconnaissance faciale ainsi que des dessins de circuits imprimés afin de suggérer ce qui paraît contrôlable et attendu. La série de dessins Lucioles présente par exemple des portraits d’enfants sur lesquels se superposent des points lumineux. Les lucioles organiques disparaissant avec la pollution, celles dont il est question ici font plutôt référence aux points de la reconnaissance faciale : chaque être arrive au monde avec une identité numérique, entité invisible et inorganique qui fonctionne comme emblème de la suppression de l’inconnu et du mystère.
Les circuits imprimés, tout comme l’image de manèges, évoquent quant à eux un enchaînement non questionné, l’illusion d’un cycle en apparence ininterrompu. Le manège est peut-être celui du cycle de la vie, des générations qui se répètent, mais apporte également l’image de l’animal, du cheval de bois. D’autres animaux font leur apparition et l’homme fait partie d’une grande chaîne : le corps dès le début de la grossesse est chahuté en abritant le début de vie. Ces transformations internes à la base du vivant nous reconnectent à ce qui nous échappe, aux mécanismes biologiques, à des forces quasiment oubliées ou sous-estimées jusqu’alors, et nous rapprochent de tout autre organisme vivant et du monde animal.
Un dernier pan de travaux explore cet aspect organique, où des réseaux de végétation sont semblables aux vaisseaux placentaires, où la matière organique du papier fait écho aux profondeurs physiques de l’être.
J’espère par cet ensemble toucher une multitude de facettes et de questionnements, évoquer les remous et les chahuts intérieurs, mentaux et/ou physiques, liés à ce passage de la gestation, qu’elle soit fantasmée, réelle, passée, aboutie, désirée ou non. Ces images proposent d’autres parcelles de ces expériences communes, encore souvent gardées sous silence, ou partagées sous le sceau d’un bonheur parfait imprimé sur papier-glacé.
Sarah Navasse
Sarah Navasse, , Rhizomes placentaires 2, 2021, pastel sur papier découpé, 90 x 215 cm